Outils de charpentier sur une pierre tombale à Gentioux (23)
23 Septembre 2009
Outils de charpentier sur une pierre tombale à Gentioux (23)
Publié le 23 Septembre 2009 @ 07:57:00 , contient 1060 mots
Périgord Le Vif Argent, C.É.D.D.D.L., nous a transmis la photographie d'une pierre tombale du cimetière de Gentioux (Creuse).

L'animation suivante, réalisée à partir de l'interprétation de Bruno Barjou à laquelle j'ai simplement ajouté une hypothèse, détaille les outils et éléments présents sur cette sculpture.
...

Compas, équerre et fausse-équerre (sauterelle) combinées, tarière, besaiguë, hache à équarrir, herminette, rabot cintré, scie égoïne et ragasse (petite scie à araser les chevilles), tels sont les outils représentés. A cela s'ajoute l'expression d'une charpente, ainsi que, soit d'un mur auquel est adossé cette charpente (interprétation de B. Barjou), soit d'une équerre à 30-60° ou équerre de dessinateur (c'est mon interprétation).
De toute évidence, c'est donc une panoplie d'outils et de figurations renvoyant au métier de charpentier.
Cette œuvre date peut-être, au vu du style de son encadrement, du XVIIIe siècle. Il est difficile d'être plus précis tant il est vrai que dans une région comme la Creuse, certaines formes stylistiques ont pu être employées plus tardivement que dans les grandes villes, ou tout simplement conservées plus longtemps. En l'occurrence, il serait tentant de dater cette pierre plutôt de la seconde moitié du XVIIIe siècle, mais, tenant compte du possible décalage stylistique régional, elle peut tout aussi bien dater des premières décennies du XIXe. On doit d'ailleurs souligner que les pierres tombales antérieures au milieu du XIXe siècle sont plutôt rares. La comparaison avec d'autres pierres tombales de Gentioux et de la région apporterait probablement des éléments de datation plus précis. De même, les archives locales permettraient peut-être de mettre un nom sur ce charpentier.
Si, vu l'emplacement actuel de cette pierre, l'hypothèse qu'il s'agit d'un élément de tombe est évidente (la partie sommitale est cassée et devait être la base d'une croix), on peut aussi penser qu'il s'agissait à l'origine d'une enseigne de métier (voir par exemple sur ce blog les deux blasons de tailleurs de pierre de Venterol, qui datent justement de la fin du XVIIIe siècle).
Ce charpentier était-il Compagnon du Devoir ? En l'absence de toute inscription ou d'élément caractéristique, c'est très difficile à affirmer. La présence en chef du compas peut y faire penser, mais elle n'est en aucun cas une preuve.
AJOUT RECTIFICATIF
Cet article était à peine en ligne qu'un autre message de Bruno Barjou m'a indiqué un lien vers le site www.patrimoine-de-france.org où, à la rubrique Gentioux, plusieurs notices sont consacrées à des tombeaux intéressants de cette commune. L'une d'entre-elles décrit un tombeau de « maçon » ; il s'agit en réalité de la stèle qui nous occupe ici, qui est sans aucun doute celle d'un charpentier.
Je n'avais pas songé à vérifier avant la mise en ligne si d'autres sites n'avaient pas déjà parlé de cette pierre tombale... Autant pour moi ! En fait, la notice du site www.patrimoine-de-france.org est issue de celle rédigée pour l'Inventaire Général du patrimoine culturel (Ministère de la Culture), sous le n° IA00030797, consultable sur la base de données Mérimée.
Si l'attribution à un maçon laisse songeur, les autres indications apportées par la fiche d'inventaire, ainsi que les photographies, sont très intéressantes.
En effet, cette stèle est simplement une partie de la tombe — la photographie reçue est en réalité celle du dos de la stèle — et cette dernière comporte également une partie horizontale sculptée, ornée d'un calvaire sous lequel sont une « canne de cérémonie » et une besaiguë entrecroisées. La photographie de l'inventaire ne permet pas de distinguer nettement tous les détails, mais il semble qu'un ruban est attaché à la canne. Cela confirme en tous les cas l'appartenance compagnonnique de ce charpentier, dénommé Étienne Canque si l'on en croit les inscriptions figurant sur la stèle et sur la tombe.

Les inscriptions relevées lors de l'inventaire sont les suivantes :
— sur la pierre tombale :
ICI REPOSE MARIE DE TIENNE ÉPOUSE D'ÉTIENNE CANQUE NÉE A GENTIOUX LE 30 JANVIER 1810 DÉCÉDÉE A SENOUEIX LE 17 OCTOBRE
— sur la stèle (au dos de la figuration des outils) :
ICI REPOSE ETIENNE CANQUE
NÉ LE 13 JUIN 1847
DÉCÉDÉ LE 20 7BRE [septembre] 1871
VIVEMENT REGRETTÉ
DE SES PARENTS
PRIEZ POUR LUI
Il me semble probable que l'auteur du relevé a commis une inexactitude en ce qui concerne l'année de naissance de l'épouse : 1810, alors qu’Étienne est né en 1847... Ce n'est certes pas impossible, mais une telle différence d'âge en ce sens serait pour le moins extraordinaire. Il est davantage probable qu'il faille restituer 1840 ou 1850. L'absence d'indication d'année pour son décès laisse à supposer qu'elle est décédée la même année que son mari, en fait quelques semaines après lui, ce qui expliquerait pourquoi l'inscription a été gravée sur le pourtour de la pierre portant les attributs compagnonniques, pierre qui était celle de la tombe d'Étienne Canque. Ce dernier n'avait que 24 ans lors de sa mort ; accident ? maladie ? Peut-être un historien de Gentioux pourra-t-il nous en dire plus.
Autre point que la fiche et ses photographies permettent de rectifier : la partie sommitale de la stèle n'était pas pourvue d'une croix mais d'une tête qui était sans doute le portrait d'Étienne Canque. Celle-ci a donc été brisée (a-t-elle disparu ou bien a-t-elle été conservée ?) entre aujourd'hui et 1978, date à laquelle ont été réalisées les photographies de l'inventaire.

Dernier point intéressant : ce tombeau, comme plusieurs autres du cimetière de Gentioux, est l'œuvre d'un sculpteur local, Jean Cacaud. Probablement simple tailleur de pierre à l'origine, il est décédé en 1900 à Gentioux après avoir vécu longtemps en ermite dans une cabane troglodyte. Son propre tombeau est un chef-d'œuvre d'art naïf. On le voit occupé à tailler la pierre dans sa jeunesse. Était-il un Compagnon Étranger tailleur de pierre ? Cela n'aurait rien d'impossible...
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Par ailleurs, la stèle a été vandalisée à la fin de l'année 2000, avec une autre œuvre du carrier-sculpteur Jean Cacaud. Ces déplorables dégradations ont été signalées par l'association des Maçons de la Creuse dans leur bulletin de liaison n° 5, de juin 2001, dont je rappelle l'excellente qualité des articles.

Un clic ICI permet le téléchargement au format PDF d'un fichier plus lisible.
CACAUD Jean
73 ans, maçon, né à Gentioux, décédé à Arluguet. Fils de Jean CACAUD, † et de Jeanne PAUPY, †.
[Déclarants :] Guillaume MAGADOUX, voisin, colon, 50 ans, vivant à Arluguet - François CACAUD, frère, maçon, 68 ans, au Luc.
Transcription de Marc Rubio, sur les photographies faites par Sylvie Dussot des registres d'état civil de Gentioux.
Source numérique