Un aspect de la justice compagnonnique :
l'affaire de Marseille en 1862
Ce texte reprend en partie l'une
des études publiées dans Travail
et Honneur par Laurent Bastard et moi-même.
Il m'a semblé intéressant d'y revenir
car nous avons depuis retrouvé la photographie de la
commission de Compagnons Passants tailleurs de pierre qui
a eu à trancher cette affaire de Marseille. Dans le
même temps, l'existence de cette photographie vient
expliquer l'un des documents retrouvés au Museon
Arlaten : un petit morceau de papier non daté,
indiquant qu'il était dû de l'argent
à un dénommé Blanc de Marseille pour
frais de photographie. Il s'agit en fait de l'avance
faite par le délégué de Marseille, Blanc,
dit « La Sagesse de Marseille », pour
faire exécuter un tirage de la photographie de l'assemblée
pour chacune des villes de Devoir. Celle destinée à
Avignon, ville non représentée directement,
a certainement été remise par Leturgeon lors
de son retour vers Paris.

Photographie des délégués
du Tour de France à Marseille en 1862.
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L'affaire de Marseille est le
dernier des conflits internes relatés au sein des archives
des Compagnons d'Avignon. Elle nous est connue par un
long procès-verbal signé des membres d'une
délégation de Compagnons tailleurs de pierre
représentants les villes de Devoir, appelés
à résoudre l'affaire entre le 23 et le
26 décembre 1862. Sa nature est bien différente
des précédentes, puisque c'est l'intervention
de la justice publique qui en est à l'origine.
La date exacte des faits à
l'origine de l'affaire ne figure pas dans le rapport
des délégués, mais ils durent survenir
dans le courant du mois de décembre 1862. Deux Compagnons
tailleurs de pierre, l'un dénommé Plus,
La Franchise de Saint-Sulpice, l'autre Seguin, L'Assurance
d'Ervert, assistés d'un complice, Pessard,
L'Assurance de Fontenay « se seraient permis
de défoncer la caisse et d'y enlever le cachet,
le livre et la petite boîte contenant l'Évangile,
le Christ, des couleurs fleuries et de l'argent ».
La Mère ayant constaté ce vol avec effraction
et fait une déposition auprès de la Justice,
les deux auteurs des faits délictueux furent incarcérés.
Pour leur part, les Compagnons de la chambre de Marseille
ne purent empêcher l'emprisonnement. Appliquant
les règlements, ils « brûlèrent »
les coupables.
L'information circulant rapidement, l'affaire remonta
jusqu'à Paris, ville directrice dont la prérogative
était de résoudre les conflits internes. Elle
mit en place une commission constituée des délégués
des villes du tour de France. Nous reproduisons ci-après,
dans son orthographe d'origine, le procès-verbal
des assemblées tenues par cette commission qui montre
avec quel souci de justice ses membres ont travaillé
à rétablir l'harmonie. Notons que le souci
des Compagnons était d'éviter que la justice
profane ne vienne se mêler de leurs affaires et que,
par ailleurs, il semble bien que le vol à l'origine
de l'affaire résulte davantage de problèmes
internes, de dissensions entre Compagnons, que d'un délit
de droit commun c'est du moins ce qui semble le
mieux expliquer la clémence dont font preuve les membres
de la commission vis-à-vis des « voleurs »,
tandis que leur attitude vis-à-vis de la Chambre de
Marseille est assez critique. Il est également à
noter qu'il n'est fait aucune mention du Rôle
de Marseille, établi en 1777 et toujours conservé
par les actuels Compagnons Passants tailleurs de pierre.
Aujourd'hui
vingt trois décembre de l'an mil huit cent soixante
deux, nous soussignés, Leturgeon, dit la Fidélité
de Vouvray, Ormieux, dit Joli cur de Bordeaux, Moussié,
dit la Fidélité de Tours, Cassaigne, dit la
Pensée de Rochefort, Pourtal, dit la Réjouissance
de Nimes, Muratel, dit la vertu de Beziers, Tous Compagnons
passant tailleur de pierres, délégués
par les villes du Tour de France, de Paris, Bordeaux, Nantes,
Rochefort, Nimes et Montpellier, conformement à l'initiation
et aux instructions qui nous avaient été transmises
par la société de Paris ; Nous nous sommes
trouvés réunis dans notre ville de Marseille
pour statuer et regler la différence d'opinion
existant entre la société de cette derniere
ville et l'opinion de celles ci-dessus nommées
en délégations, relativement à l'incarcération
de deux Compagnons de la ville de Marseille.
A cet effet, et après l'examen de nos pouvoirs
respectifs lesquels nous ayant fait constater que deux délégués
parmi nous ; le premier, celui de Paris, était
aussi délégué pour les villes de Tours
et d'Agen ; le second, celui de Nimes, l'était
également pour Avignon, en conséquence de ces
doubles pouvoirs tenus par ces Compagnons et comme il en serait
résulté dans nos délibérations
des partages inégaux d'opinions, nous avons délibéré
pour régulariser les discussions, de nous adjoindre
des Compagnons étrangers à la ville de Marseille
et rendre ainsi plus légal le résultat de nos
opinions dans nos délibérations avons nommés
à cet effet la Coterie Gelot dit la Clemence de lormont
pour être délégué représentant
la ville de Tours ; Nougaret dit la Clémence de
Montpellier pour être délégué représentant
la ville d'Agen, et Duval dit la Fidélité
de Montpellier pour être délégué
représentant la ville d'Avignon, auquels Compagnons
nous avons conféré les mêmes pouvoirs
qui nous avaient été donnés par les villes,
qui nous avaient délégués.
Ayant ainsi régularisé et constitué notre
délégations comme principe d'indivisibilité,
nous avons procédé à la nomination d'un
bureau et à l'unanimité, la Coterie la
Réjouissance de Nimes à été élu
président et Joli-Cur de Bordeaux secretaire.
Fait à Marseille, le jour et an que dessus.
Le Président, A. Pourtal
le Secrétaire, Ormieux dit joli cur de Bordeaux
les membres de la délégation
Leturgeon dit la fidélité de Vouvray
Gelot, la clémence de Lormont
La pensée de Rochefort, Cassaigne
Duval, la fidélité de montpellier
Nougaret, la clemence de montpellier
Muratel, la vertu de Beziers
Procès verbal des
travaux de la délégation
dans la journée du vingt trois décembre mil
huit cent soixante deux.
Après nous
être reconnus et constitués, nous nous sommes
présentés au premier chantier où on nous
à indiqué des Compagnons et après nous
être fait connaitre par eux les avons priés de
convoquer une assemblée pour le soir même ayant
une communication très importante à faire aux
Compagnons de la Société de Marseille.
Nous nous sommes rendus le soir chez la mère à
leur chambre de réunion où nous avons trouvé
réunis vingt compagnons environs ; ce faible nombre
nous à été expliqué par l'impossibilité
qu'ils avaient rencontré a pouvoir dans un délai
si court, commandé une assemblée régulière.
En présence de cette assemblée nous avons expliqué
les motifs de notre mission et nous avons demandés
à ce qu'une assemblées générales
soit convoqué pour le lendemain soir par la voix générale
de touts les Compagnons du tour de France.
Mais qu'en attendant cette assemblée nous demandions
aux Compagnons présents formant la majorité
des membres de la société de Marseille, les
renseignements précis et exacts des faits qui avaient
entrainés, l'incarcération de deux de nos
membres.
Résumant leur déclarations il resulterait que
les deux Compagnons la Franchise de St Sulpice Plus, l'assurance
d'Ervert Seguin et l'assurance de Fontenay Pessard
(comme complice) se seraient permis, de défoncé
la caisse et d'y enlever, le cachet, le livre et la petite
boite contenant, l'Evangile le Christ des couleurs fleurie
et de l'argent - qu'ils avaient pensés que
ce fait constituait un vol avec effraction et que sous l'impression
de cette pensée n'avait pû empêcher
la déposition de ce fait à la justice laquelle
déposition de ce fait suivant eux aurait été
faite par la mère que par la gravité de ce fait
ils n'avaient non seulement empecher leur incarcération
sous l'inculpation de vol, mais qu'ils les avaient
brulés suivant les regles de notre devoir.
Après avoir reçu cette déclaration la
délégation sans prejuger au fond des droits
et des torts des partis, à déclaré à
l'assemblée que représentant le tour de
France et agissant strictement suivant les règles de
notre devoir elle n'approuvait pas les décisions
prises par la société de Marseille dans cette
affaire et qu'en agissant par ce principe envers et contre
la société de Marseille elle allait employer
toutes les voies et moyens pour faire élargir ces deux
Compagnons incarcérés.
A cette déclaration nettement posée par la délégation
l'assemblée déclare qu'elle fera et
qu'elle usera de toute l'influence particulière
des membres qui ont déposés contre les Compagnons
pour atténuer leur dépositions et faire en sorte
de nous aider de tout leur pouvoir à l'élargissement
de ces Compagnons.
La délégation satisfaite de cette décisions
s'est retirée après s'être donnés
rendez-vous au palais pour le lendemain à 8 heures
du matin.
Fait à Marseille le jour et mois et an que dessus.
Ont signé les membres de la délégations.
Procès verbal des
travaux de la délégation
pendant la journée du 24 décembre 1862
Le Président
et le secretaire de la délégation sont joints
aux Coteries La Sagesse de Marseille (Blanc), la Prudence
d'Hystre (Essery) et la vertu de Samazan (Maréens)
réunis au palais (parquet du procureur impériales)
et agissant avec la prudence la circonspection et les recommandations
particulières dont ils étaient nantis on obtenu
l'élargissement conditionnel des deux compagnons
incarcérés à 6 heures du soir.
Les conditions posées par le juge d'instruction
avaient été demandées par la commissions
sus enoncée : c'était la remise des
objets détournés.
L'assurance de Fontenay ayant fait la remise des objets
désignés le juge d'instruction à
ordonné leur élargissement immédiat.
Ces formalités étant remplies, la délégations
s'est réunies ensuite à l'assemblée
déjà constituée chez la mère des
Compagnons de la ville de Marseille - où les secretaire
de la délégation, prenant la parole à
remercié les Compagnons du concours qu'ils ont
apporté à l'élargissement de ces
deux Compagnons, et leur a témoigné le désir
de faire partir ces Compagnons immédiatement de Marseille.
L'assemblée à demandé à la
délégation communication d'une lettre écrite
à la société de Paris par les trois Compagnons
inculpés, la délégation dans sa sagesse
n'a pas jugé à propos de leur faire cette
communication.
Le délégué de Paris a pris la parole
et a communiqué à l'assemblée les
observations faites par quelques jeunes Compagnons actuellement
à Paris se plaignant de n'avoir pas trouvé
à Marseille la confraternité et le bon accueil,
qu'ils trouvent ordinairement dans toutes les villes
du tour de France.
Quelques membres de l'assemblée ayant répondu
qu'il serait fait droit à ces réclamations
et l'assemblée étant terminée, la
délégation s'est retirée.
Fait à Marseille le jour moi et an que dessus.
Procès verbal des
travaux de la délégation
pendant la journée du vingt cinq décembre mil
huit cent soixante deux
La délégation
étant réunie dans un chambre particulière
à fait appeler les trois Compagnons inculpés,
et après les avoir entendus à pris la délibération
suivante :
1° Payer leurs dettes chez la Mère et envers la
société de Marseille 2° De les faire
partir dans le plus bref délai possible, La Franchise
de St Sulpice et l'assurance de Fontenay pour Paris et
l'assurance d'Ervert pour Bordeaux 3° de
ne pas faire lever leur punition infligée par la société
de Marseille bien que la délégation soit unanime
à reconnaitre quelle ne peut exister attendu le vice
de forme dans son application puis ensuite qu'elle est
trop sévère, mais après les avoir gardés
à vue pendant une année pour apprécier
leur conduite et juger alors par cette conduite de ce qu'il
y aura lieu de faire à leur égard 4° Les
dettes des Compagnons allant à Paris seront payées
par le délégué de Paris (Leturgeon, la
Fidélité de Vouvray) et celle du Compagnon allant
à Bordeaux, par le délégué de
Bordeaux (Joli-cur de Bordeaux) 5°Les trois Compagnons
sus nommés se sont engagés sous la foi du serment
à suivre ponctuellement les décisions prises
et à prendre à leur égard.
Nous avons clos la réunion.
Fait à Marseille le jour moi et an que dessus
Procès verbal des
travaux de la délégation
pendant la journée du vingt six décembre mil
huit cent soixante deux
La délégation
entière s'étant réunie dans la chambre
des séances de la société de Marseille,
il lui à été communiqué une décision
prise par cette société déléguant
la Coterie la Sagesse de Marseille (Blanc) pour se joindre
à la délégation des villes du tour de
France pour avoir à présenter ces observations
où à ratifier les procès verbaux dressés
jusqu'a ce jour par la délégation.
La délégation s'étant retirée
de l'assemblée s'est réuni dans une
salle particulière avec ce nouveau délégué
et après vérification de ses pouvoir lui avons
lus les procès verbaux antérieurs dans toute
leur teneur qu'il à accepter sans observation
ni réserves que celle que ces trois Compagnons ne rentrent
plus dans la société.
Sur ce nous avons clos la réunion.
Fait à Marseille le jour moi et an que dessus. |